La violence, c’est vouloir que l’autre ne soit pas, c’est un non à l’être d’autrui. La violence, c’est une négation existentielle. Si je frappe quelqu’un, par exemple, c’est que quelque chose en lui ne me convient pas. Quelque chose me dérange, dans ce qu’il est ou ce qu’il fait. Il résiste à mon désir, déçoit mes attentes.
Il me met en colère, car il n’est pas ce que je voudrais qu’il soit.
Dans un acte de violence, il y a toujours ce message implicite :
tu ne dois être que ce que j’attends que tu sois ; si tu n’es pas ce que j’attends, tu n’es pas ce que tu dois. C’est cela la négation de l’autre. C’est mettre des conditions, "mes" conditions. Si tu es ceci, si tu agis comme cela, alors je t’accueille ; si tu es autrement, si tu agis autrement, je te rejette, je te refuse. Tu n’as pas le droit d’exister, si ce n’est à "mes" conditions. C’est la négation existentielle.
On le voit, la violence, dans son sens profond, n’a pas besoin de manifestation physique.
Une insulte, un sarcasme, une parole humiliante… autant de manières de faire comprendre à quelqu’un qu’il n’est pas ce qu’il doit être, qu’il n’est pas tel qu’on peut l’approuver, l’accueillir. Mais il est aussi des formes encore plus subtiles, et beaucoup moins visibles, de négation de l’autre. Des formes de violence cachées par le masque de l’amour. Quand j’aime quelqu’un, est-ce bien cette personne que j’aime, ou ce que je projette sur elle ?
N’ai-je pas tendance à déployer des stratégies visant à ce que l’autre soit ce que je veux qu’il soit ? L’autre est ce qu’il est, indépendamment de mes attentes. Autrui transcende mon désir. Autrui m’échappe. Suis-je capable de l’accepter ?
Les amoureux sont violents, quand ils n’accueillent l’autre que conforme à leurs besoins affectifs. Toutes les stratégies déployées relèvent alors de la violence ; et particulièrement la plus dramatiquement efficace de toutes :
la culpabilisation. Culpabiliser, c’est dire à l’autre, ou pire encore, lui faire sentir :
si tu es ce que tu es, si tu agis en fonction de ce que tu ressens, alors je souffre, alors je suis déçu. Forme la plus subtile de la négation de l’autre.
Alors, comment sortir de la violence ?
D’abord par l’accueil de soi.
Par l’amour de soi.
On est violent parce qu’on ne s’aime pas, parce qu’on se nie soi-même. La violence me quitte lorsque je suis capable de m’affirmer moi-même. C’est un paradoxe. Car on croit souvent que n’être pas violent, c’est "penser aux autres", donc limiter l’affirmation de soi. Or c’est l’illusion sur
laquelle repose toute violence. L’illusion que nier l’autre, c’est s’affirmer soi-même ; que l’affirmation de soi implique la négation de l’autre. C’est le contraire qui est vrai. La violence, négation de l’autre, repose sur une profonde négation de soi, sur la haine de soi. Inversement, la véritable affirmation de soi est toujours aussi affirmation de l’autre.
Le véritable amour de soi est amour de l’autre.